Chèr.e.s ami.e.s,
La fin d’année approche, la nuit a pris le dessus sur le jour et l’obscurité nous pénètre en même temps que le froid. Pour ne pas nous laisser gagner par la morosité hivernale, je vous partage ce conte issu de la tradition japonaise, intitulé « La barouf sacré » :
« Un moine austère fut nommé à la tête d’un important monastère dont la vaste enceinte englobait un sanctuaire shinto consacré au kami protecteur du lieu. Depuis des temps immémoriaux, on y honorait quotidiennement le dieu des danses rituelles au rythme des percussions. Taka-daka le barouf sacré troublait le supérieur rigoriste dans ses méditations. Lui qui avait également autorité sur l’oratoire shinto remplaça le bruyant rituel quotidien par une cérémonie bouddhique beaucoup plus sobre et silencieuse. Il pensait aussi que la récitation des soutras plairait au kami puisque celui-ci s’était converti au bouddhisme afin de devenir le gardien du monastère. Et pour ne pas trop perturber l’esprit des lieux, les danses et la musique furent autorisées au cours de certaines fêtes annuelles.
Depuis qu’on n’entendait plus les sonores percussions, résonnaient par contre des grincements et des craquements à répétition qui venaient du sanctuaire shinto. Les portes bata-bata claquaient sans aucun courant d’air, les planchers, les poutres et les charpentes gishi-gishi gémissaient sans aucun coup de vent. Et les desservants du lieu avaient maintenant d’énormes difficultés à ouvrir les portes ou à les maintenir fermées. On pensa que des engu, des esprits particulièrement farceurs, avaient élus domicile dans le temple. Le supérieur du monastère dirigea un rite d’exorcisme, sans succès. Le tapage et les gémissements continuèrent de plus belle. Le révérend se résolut alors à faire appel à une chamane. Après avoir dansé et tournoyé dans le sanctuaire, elle s’adossa à un pilier au paroxysme de la transe. Les yeux exorbités, le visage métamorphosé, elle ouvrit la bouche et d’une voix masculine récita ce poème :
Le palais des dieux est joyeux
Quand les tambours résonnent,
Le miroir de la sagesse reflète alors
Les danses gracieuses des déesses.
Le kami avait parlé. Le dieu était fâché de ne plus avoir ses musiques et ses danses. Il s’ennuyait. Pour lui rendre sa bonne humeur et garder sa protection, le supérieur décida à contrecœur qu’on lui servît à nouveau son divertissement quotidien. »
Silence et gravité ne sont pas nécessairement de rigueur lorsqu’il s’agit de faire preuve de piété. Alors que le mot d’ordre général semble être à la sobriété, rappelez-vous de laisser éclater votre joie, de danser vos prières, de chanter vos mantras. Rappelez-vous que la spiritualité réside aussi dans notre capacité à enchanter nos cœurs et faire sourire nos corps au rythme salvateur des tambours, des hochets et des maracas. La vie est une fête, célébrons-là ! Alors que fin d’année rime souvent avec festivités, il est bon de se rappeler que tous les jours de l’année sont bons pour célébrer la magie dans nos vies.
Dansez, tournoyez, frappez dans les mains ! Ce faisant, vous ravirez sans aucun doute sans le savoir quelque esprit chagrin sombré dans l’ennui. Si après votre danse quotidienne, les portes cessent subitement de claquer et les planchers de grincer, ce sera la marque que votre joie a bien plus de pouvoir que vous ne le pensez. Qui sait quels autres effets miraculeux, elle pourrait bien avoir ? Imaginez que nous soyons désormais des millions, que dis-je des milliards, à oser laisser éclater nos rires, nos chants, nos hourras !
Le conte « Le barouf sacré » est issu du recueil « Contes des sages du Japon » dirigé par Pascal Fauliot et édité au Seuil. Vous pouvez vous le procurer auprès de la librairie l’Eau Vive, 6 place de la Résistance à Caen.
Au nom de toute l’équipe de Néroli, je vous souhaite une joyeuse fin d’année 2022.
Avec tendresse,
Isabelle Aureau.